Far-West à Valmondois

Il y avait autrefois à l’emplacement actuel du foyer un bois de peupliers. En dépit du sol tourbeux, les garçons jouaient là aussi. La ligne du petit chemin de fer longeait ce bois. Un de nos jeux consistait à coller une oreille sur un rail comme nous voyions faire par les Peaux-Rouges dans les livres d’aventures, afin d’entendre l’approche des trains. Il nous arrivait aussi de poser des cailloux sur les rails. Oh ! pas des blocs de pierres, seulement des cailloux. Tapis dans les fourrés, nous attendions le passage du train. Il arrivait, précédé de sa petite locomotive pansue comme une « vache pleine », déhanchée par les efforts de ses pistons et de ses bielles, renvoyée d’un rail à l’autre. Nous éprouvions des sentiments mêlés d’espoir et de crainte à l’idée de voir le tortillard dérailler, déversant wagons et voyageurs dans les fossés. Mais la locomotive ignorait superbement les cailloux : elle les écrasait dédaigneusement. Et le tortillard s’immobilisait à la halte du Carrouge. Des voyageurs en descendaient, sains et saufs, ignorant le péril auquel ils avaient échappé. Nous n’avions pas eu à les secourir héroïquement. Nous étions à la fois déçus et soulagés. Le débonnaire garde-champêtre n’aurait pas à nous arracher aux bras de nos parents désespérés pour nous conduire en prison. Ouf!

Et le tortillard reprenait sa marche après avoir donné un coup de sifflet pour traverser l’avenue du Carrouge. Il allait ainsi rouler vers La Naze pour s’enfoncer ensuite, au-delà de Verville et de Nesles-la-Vallée, dans des contrées lointaines, inexplorées par nous : Labbeville, Vallangoujard et surtout Marines, qui évoquait la mer, l’océan et presque l’Amérique.
Mais où sont les petits trains d’antan ?

 

Marcel Mercier