L'exposition Eli Samson ou l'apothéose de la couleur

Exposition à la Villa Daumier 14-21 mars 1999

On entre dans la villa Daumier. On entre et on est accueilli par les couleurs. C’est le temple de la couleur : bleus sombres, jaunes triomphants comme on en rencontre chez Van Gogh.

C’est inhabituel, c’est inattendu. Il faut se laisser gagner par ce qu’Anatole France appelait le « frisson du beau », car il n’y a ici aucune peinture figurative. Il semble qu’avec Eli Samson l’art se soit émancipé de ce qui, depuis des siècles, constituait l’objet obligé de la peinture : paysages, êtres vivants, natures mortes. Il semble qu’elle se soit affranchie du critère du beau résultant de la conception traditionnelle de l’art, à savoir la fidélité dans l’imitation de la réalité, voire la vision personnelle que l’artiste en donnait. Il semble qu’Eli Samson transcende cette conception antique de la beauté et se refuse à imiter la nature ou le modèle pour mieux atteindre l’absolu. La nature serait une chaîne ou une limite dont il convient de se libérer. Tout se passe comme si l’artiste, renonçant à la réalité visible, voulait en représenter ou en suggérer la quintessence. Il semble qu’elle ait fait sienne cette phrase du peintre Roger Bissière : « J’essaie de recréer un monde à moi, fait de mes souvenirs, de mes émotions, où demeurent l’odeur des forêts qui m’entourent, la couleur du ciel, la lumière du soleil et aussi l’amour de tout ce qui vit : des plantes, des bêtes  » et elle ajoute : « des hommes, même s’il me déçoivent parfois et quelquefois m’effraient ».

Au-delà d’un monde nécessairement fini, c’est l’âme du peintre qui s’exprime. François Mathey (ex-conservateur en chef du Musée des Arts Décoratifs) a dit très justement que « tout langage artistique sincère est l’expression directe d’une morale. Une œuvre d’art est un miroir où le visage de l’artiste se reflète avec une bouleversante vérité ».

Retirez les formes ou les contours et il reste la couleur, une couleur structurée. Eli Samson arrive ainsi à la forme la plus évoluée, la plus épurée de l’art, et pour tout dire, à sa sublimation : l’apothéose de la couleur.

Profane, je suis bien incompétent pour juger l’œuvre d’Eli Samson. Alors je me fie à mon instinct, à mon attirance spontanée pour tout ce qui est beau. Or, j’ai aimé ce que j’ai vu.

Ayant reçu cette première impression d’ensemble, on s’attarde à chacune des œuvres. Elles ont en commun d’être peintes sur un support original. Il ne s’agit pas de pièces de toile ou de papier, mais d’un entrelacs de lanières de papier larges d’un centimètre environ, tissées suivant la technique de la chaîne et de la trame, placées exactement bord à bord pour éviter des chevauchements générateurs d’épaisseurs parasites. Le support formé de la sorte constituerait une surface fragile et molle s’il ne recevait le renfort d’une plaque de carton placée derrière, qui lui donne la rigidité indispensable tout en préservant la souplesse. 

Puis-je encore citer Roger Bissière : « Le tableau, qu’il soit à l’huile, à l’eau, qu’il soit fait d’étoffes, de ciment ou de la boue des chemins, n’a qu’une seule signification : la qualité de celui qui l’a créé et la poésie qu’il porte en lui ».
Tout ici est révolutionnaire. A notre époque, tout est permis, tout est possible. Chaque artiste, s’il a quelque chose à dire, se fraiera son propre chemin.

L’art d’Eli Samson sera peut-être – l’avenir le dira – une étape décisive dans l’évolution de l’Art. Quoi qu’il en soit, il est sûrement une conception originale de la peinture, une voie qu’il faut prolonger.
 

Marcel Mercier